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Le nouveau paysage créé par la la généralisation de la complémentaire santé



Le point de départ du chantier de la généralisation de la complémentaire santé est à dater au discours du Président de la République prononcé lors du 40ème congrès de la Mutualité à l’automne 2012. Il a ainsi fixé le cap de la généralisation de la complémentaire santé à l’horizon 2017, au terme du quinquennat. Suite à cette annonce, les partenaires sociaux ont signé, en janvier 2013, l’Accord national interprofessionnel (ANI), faisant avancer ce chantier de la généralisation sur le champ des salariés.


 

L’ANI généralise la complémentaire santé pour les salariés à l’horizon du 1er janvier 2016, avec en amont l’organisation d’une phase de négociation, puis également des avancées «paramétriques» conséquentes, notamment sur la durée de la portabilité, sa gratuité pour l’ancien salarié, la fixation d’une contribution minimale des employeurs au financement de cette complémentaire. Suite à l’ANI, par un courrier du 18 mars 2013, les ministres de l’économie et de la santé ont missionné le Haut conseil pour l’avenir de l’assurance maladie (HCAAM) afin de réfléchir sur les « voies et moyens » de cette généralisation.


Le HCAAM a rendu son rapport en juillet 2013, dans lequel il décrit le marché, les évolutions récentes, les aides fiscales ou sociales qui sont dédiées à cette couverture complémentaire et fait quelques préconisations en fin.


Dans la foulée le gouvernement a suivi deux des préconisations du rapport. La première porte sur la suppression de la déductibilité fiscale de la part employeur de l’impôt sur le revenu et la seconde sur la mise en place d’une logique de référencement pour les contrats éligibles à l’aide à l’acquisition d’une complémentaire santé (ACS), qui relève actuellement davantage d’une logique de contrats individuels que d’une logique de contrats collectifs.


La décision du Conseil constitutionnel de juillet 2013 et sa lecture très orientée sur l’organisation générale de la protection sociale complémentaire collective ont profondément bouleversé le paysage de la protection complémentaire santé en entreprise pour les salariés.


Suite à cette décision et ce, conformément à l’avis du Conseil d’Etat qui avait été sollicité pour l’occasion, la Direction de la Sécurité Sociale (DSS) a opté pour le mécanisme de la recommandation. Cette dernière a été introduite via le projet de loi de financement de la Sécurité sociale (PLFSS) pour 2014. Mais une fois encore, le Conseil constitutionnel n’a pas pleinement avalisé le mécanisme puisque, bien qu’il n’ait pas censuré l’intégralité de l’article, il a censuré la modulation de taux du forfait social, ce qui a eu pour conséquence de vider le dispositif de son contenu.


Les partenaires sociaux sont confrontés à un environnement « post deuxième décision du Conseil constitutionnel » où domine l’incertitude dans l’application effective des notions de « degré élevé de solidarité » et de « recommandation » sans réel outil fiscal ou juridique d’incitation pour les entreprises de rejoindre un accord de branche.


 


L’ANI 2013 : un objectif, une annonce, une réalité


L’ANI de 2013 avait un triple objectif, celui de doter «tout le monde» d’une assurance maladie complémentaire, d’un régime de prévoyance ainsi que d’améliorer la portabilité et la transférabilité pour un maintien des droits. Ces ambitions avaient été résumées par la formule : la mutuelle pour tous.



Le principe de la généralisation de la complémentaire santé en entreprise a été posé par l’ANI de 2013. A compter du 1er janvier 2016, les entreprises dont les salariés ne bénéficient pas d’une couverture collective à adhésion obligatoire en matière de remboursements complémentaires de frais occasionnés par une maladie, une maternité ou un accident (déterminée par une convention, un accord collectif ou un référendum) seront tenues de faire bénéficier leurs salariés de cette couverture minimale par décision unilatérale de l’employeur.


Chacune des catégories de garantie et la part de financement assurée par l’employeur devront être aussi favorables que celles prévues par la loi. (CSS art. L. 911-7 créé par L. N° 2013-5014,14 juin 2014, JO du 10 juin). Cette mise en place devra se faire dans le respect des règles d’adhésion.

2. L’instauration d’un régime de prévoyance par la clause de recommandation.


Depuis l’insertion de l’article L. 912-1 du Code la sécurité sociale, consécutive à l’adoption du PLFSS 2014, la clause de recommandation est le mécanisme qui prévaut dans le choix de l’opérateur.


 

Un nouvel instrument la recommandation



L’accord professionnel ou interprofessionnel peut dorénavant recommander, et non plus désigner, un ou plusieurs organismes de protection sociale complémentaire pour assurer la gestion des garanties collectives qu’il instaure. Toutefois, afin de poursuivre l’objectif de solidarité et de mutualisation des risques dans les branches, le gouvernement a subordonné la recommandation à l’existence de « garanties collectives présentant un degré élevé de solidarité».

Le décret du 11 décembre 2014 vient préciser cette notion (entrée en vigueur le 14 décembre 2014) :


Lorsque les partenaires sociaux recommandent un ou plusieurs organismes assureurs pour organiser la gestion des risques de protection sociale complémentaire, ils sont tenus de prévoir de manière obligatoire l’instauration d’un haut de degré de solidarité.


Pour mettre en œuvre ce mécanisme de solidarité, les accords collectifs doivent affecter au moins 2 % du montant des primes ou des cotisations au financement des prestations non-contributives. Ces prestations « à caractère non directement contributif » peuvent prendre la forme :


- d’une prise en charge partielle ou totale, de la cotisation due pour tout ou partie des salariés ou apprentis susceptibles de bénéficier des dispenses «d’adhésion » (contrat inférieur à 12 mois), ainsi que la cotisation de salariés apprentis ou anciens salariés acquittant une cotisation représentant au moins 10 % de leurs revenus bruts ;


- d’un financement d’action de prévention des risques professionnels ou d’autres objectifs de la politique de santé. Ces actions pourront notamment relayer des campagnes nationales d’information ou de formation, ou prévoir des actions propres au champ professionnel ou interprofessionnel concerné et visant à réduire les risques de santé futurs et à améliorer les conditions de vie au travail et la santé des salariés.


En vertu de l’article L. 912-1 paragraphe II, la recommandation doit être précédée d’une procédure de mise en concurrence des organismes ou institutions concernés, dans des « conditions de transparence, d’impartialité et d’égalité de traitement entre les candidats ». La formulation répond à un double objectif, celui d'éviter l'écueuil du manque de transparence à propos des pratiques antérieures de désignation tout en voulant offrir des garanties optimale de concurrence loyale entre les opérateurs.



Tel qu’il est formulé, le décret encourt 3 exigences pour les partenaires sociaux :


- l’obligation d’établir un cahier des charges précisant notamment les garanties souhaitées, les services attendus, l’assiette et la structure des cotisations, les objectifs de sécurité et de qualité recherchés, le mode de tarification souhaité, et le cas échéant, les modalités d’organisation et de financement des éléments de solidarité ;


- l’obligation de rendre public l’avis d’appel à la concurrence. Le contenu de l’avis doit ainsi permettre aux assureurs de connaître tous les éléments d’information utiles (cahier des charges, principales caractéristiques de la branche, de la population à assurer, des critères d’évaluation des offres pondérés et hiérarchisés) ;


- l’obligation de respect strict du principe d’égalité de traitement qui conduit à traquer toutes les situations teintées de conflits d’intérêts.


Les partenaires sociaux n’ont certes plus la possibilité d’imposer un organisme assureur aux entreprises d’une branche mais ils ont néanmoins conservé leur capacité de construire un véritable régime s’imposant à toutes les entreprises de la branche par la négociation collective. Ils conservent en effet leur autonomie conventionnelle pour définir les contours du régime. En outre, la procédure d’extension de l’accord de branche permet de rendre opposable aux autres entreprises du secteur professionnel le régime décidé au niveau de la branche.


 

La généralisation de la portabilité



La portabilité est également généralisée à toutes les entreprises. Désormais en cas de rupture du contrat de travail ouvrant droit à l’assurance chômage, le salarié bénéficie du maintien des couvertures complémentaires santé et prévoyance pendant tout ou partie de sa période chômage.


Cette généralisation s’effectue néanmoins en deux étapes :


- Le 1er juin 2014 pour les risques santé (CSS, Art. 911-8).


- A compter du 1er juin 2015 pour les autres risques prévoyance. Jusqu’au 31 mai 2015 les entreprises concernées sont celles qui sont dans les champs d’application de l’ANI du 11 janvier 2008 complété par l’avenant N° 3 du 18 mai 2009.


- Depuis le 1er juin 2014 pour les frais de santé et maternité : le droit est maintenu pendant une durée de 12 mois au maximum. Cette durée est appréciée en mois, le cas échéant arrondie au nombre supérieur.


- A compter du 1er juin 2015, la durée sera portée à 12 mois, comme pour les frais de santé et maternité.




Pour bénéficier de ce maintien, il faut que les droits à couverture complémentaire aient été ouverts chez le dernier employeur. La portabilité est financée sur le risque santé par le principe de mutualisation et l’ancien salarié ne doit payer aucune cotisation. Pour ce qui est de la prévoyance, le financement est assuré, soit par un système de mutualisation via un accord collectif, à défaut, par referendum, ou décision unilatérale ; soit par un cofinancement employeur et salarié dans les conditions et proportions applicables aux salariés de l’entreprise.



 

Une transformation mal anticipée



Immédiatement après l’entrée en vigueur de l’ANI 2013, le gouvernement en a profité pour supprimer l'exonération fiscale des cotisations de couverture complémentaire santé prises en charge par l'employeur par le biais de l'article 4 de la loi de finances pour 2014. Cette contribution n'était jusqu'alors pas prise en compte par le fisc pour calculer l’impôt sur le revenu (IR ou IRPP). Le motif invoqué par les pouvoirs publics était que l'abondement de l'employeur était assimilable à un avantage en nature, en d’autres termes, un complément de salaire taxable à ce titre. Les recettes se seraient établies à 960 millions d'euros en 2014. En revanche, pour le salarié cette mesure s’est traduite par une double peine avec la diminution du montant des revenus exonérés dans la fiche d’impôt et la hausse des prélèvements de 2014 sur les revenus de 2013.


Tous les salariés n’ont pas été visés car cette fiscalisation concerne uniquement les contrats santé collectifs et obligatoires ; ceux à adhésion facultative ne font pas partie du champ de la mesure. Par ailleurs, les trois autres risques pouvant être couverts par la prévoyance complémentaire (incapacité de travail, invalidité et décès) ne sont pas concernés.


Cette fiscalisation a été décidée quelques mois après la généralisation à l'horizon 2016 de la complémentaire santé, présentée comme l'une des principales avancées de l'accord national interprofessionnel (ANI) du 11 janvier 2013. Au-delà du moment choisi par le gouvernement, d’autres critiques ont vu le jour, liées aux inégalités de traitement entre les salariés du secteur privé, pénalisés par l'intégration dans leur revenu imposable de la part des primes versées par l'entreprise alors que les agents des collectivités territoriales dont les « complémentaires santé » mises en place pour leurs fonctionnaires y dérogent.


Par ailleurs, la qualification juridique de « complément de revenu », attachée à la participation de l'employeur, est contestable dans la mesure où ce revenu n'est, en réalité, jamais perçu par l'intéressé.



 

Les objectifs de la généralisation pourraient être compromis



Le processus de généralisation privilégie le niveau de la branche et n’envisage de « descendre » au niveau de l’entreprise que de façon subsidiaire si aucun accord de branche n’avait été trouvé au 1er juillet 2014. Malheureusement, à cette date peu de branches avaient négocié un accord, alors que 250 d’entre-elles étaient dépourvues de régime frais de santé. Les partenaires sociaux ont été peu enclins à conduire des accords devant l’incertitude relative au cadrage réglementaire concernant la couverture minimale et les clauses de recommandation.


Il n’est donc pas tabou d’affirmer que la première étape du processus de généralisation a été manqué, même si la ministre de la Santé et des Affaires sociales a mis en place un groupe de travail sur cette question à la demande de l’Union professionnelle des artisans (UPA) lors de la Conférence sociale, pour permettre aux partenaires sociaux de se saisir à nouveau de cette question.


Il n’en est pas moins vrai que le processus de généralisation se réalisera dans un premier temps au niveau de l’entreprise. Or les conséquences de cette « décentralisation » ne sont pas anodines dans la mesure où les risques de non-couverture d’un certain nombre de salariés n’ont pas été levés.


Tout d’abord parce que la loi prévoit des « dispenses d’adhésion ». En effet, lorsque le régime a été mis en place par un accord collectif ou referendum. Il s’impose à tous les salariés qui ne peuvent donc en principe refuser de payer la cotisation correspondante à l’exception :


- des salariés en CDD, intérimaires et apprentis, ayant un contrat d’au moins 12 mois et bénéficiant d’une couverture individuelle souscrite par ailleurs pour le même type de garantie. La dispense d’affiliation est de droit pour les salariés et apprentis bénéficiaires d’un contrat de moins de 12 mois ;


- des salariés à temps partiel, intérimaires et les apprentis, si la cotisation à acquitter est au moins égale à 10 % de leur rémunération brute (CSS, art. R 242-1-6 modifié par D. n° 2014-786, 8 juillet 2014, JO 10 juillet).


Dans le cas où le régime a été mis en place par une décision unilatérale de l’employeur, les salariés présents dans l’entreprise, au moment de cette décision, ne peuvent être tenus de cotiser (L. n° 89, 21 décembre 1989, art.11).


En revanche, les salariés embauchés après cette décision sont tenus de cotiser même s’ils n’ont pas été correctement informés. En principe la dispense d’adhésion vaut lors de l’institution du régime. Cependant, il peut être admis qu’elle concerne aussi la modification d’un régime existant, dans le cas où la nouvelle décision unilatérale de l’employeur remet en cause le financement intégral par l’employeur et crée une nouvelle cotisation à la charge du salarié (lettre-circ, Acoss N° 2014-2, 4 février 2014).


Ces nombreuses dispenses d’adhésion font craindre que le taux global de couverture des salariés soit inférieur au taux constaté avant la signature de l’ANI (environ 95 %).


Des inégalités pourront également voir le jour à l’intérieur des collectifs assurés selon le niveau de revenus des salariés lorsqu’il sera fait le choix de concentrer les financements patronaux sur la couverture minimale obligatoire et de prévoir une couverture sur-complémentaire optionnelle.


Certains observateurs jugent que des inégalités d’accès aux soins sont susceptibles d’apparaître par un mécanisme de solidarité inversée. En d’autres termes, les salariés n’ayant pas les moyens de souscrire des options seront parfois conduits à renoncer à des soins face à un reste à charge trop élevé, tout en finançant par leurs cotisations la couverture commune de base qu’ils mobiliseront moins que les bénéficiaires d’options.


 

Comment naviguer dans l'environnement post-désignation?


Le Centre technique des institutions de prévoyance (CETIP) relevait qu’avant l’ANI, les partenaires sociaux de branche recouvraient majoritairement à la clause de désignation de l’organisme assureur pour la gestion des régimes frais de santé à adhésion obligatoire. Cette dernière recouvrait 80 % des conventions collectives nationales.


Depuis l’insertion de l’article L.912-1 du Code la sécurité sociale, consécutive à l’adoption du PLFSS 2014, c’est la clause de recommandation qui est le mécanisme prévalent dans le choix de l’opérateur.


Dans sa rédaction, l’article L. 912-1 du CSS procède à une inversion de logique par rapport aux clauses de désignation puisque c’est désormais sur l’organisme recommandé que pèse l’obligation d’accepter toutes les demandes d’adhésion. Dans la situation antérieure, les clauses de désignation contraignaient les entreprises de la branche à souscrire un contrat de groupe avec l’assureur désigné.


Concernant la mise en concurrence, les partenaires sociaux vont passer d’une très grande marge de manoeuvre à un encadrement bureaucratique contraignant dont le respect est indispensable pour sécuriser la recommandation.


Les partenaires sociaux seront ainsi également tenus de maîtriser cette nouvelle forme « ingénierie procédurale », notamment sur des éléments relevant plus du fond que de la forme tels que la définition et la pondération des critères d’évaluation des offres.


Les partenaires sociaux sont finalement confrontés à une politique qui affirme des objectifs sans se donner les moyens pour les atteindre avec un risque de primauté de l’entreprise sur la branche dans la mise en place des accords de prévoyance.


Données hier grandes gagnantes de la généralisation de la complémentaire santé dans le cadre de l’accord national interprofessionnel du 11 janvier, les institutions de prévoyance cherchent maintenant à adapter leurs stratégies dans un environnement instable qui fait peser un risque d’inassurabilité des entreprises en prévoyance.


Si rien n’est fait dans les prochaines années et que le vide législatif entourant la généralisation de la complémentaire santé en entreprise subsiste, il y’a un réel risque de poursuite de désagrégation de la protection maladie obligatoire pour la prise en charge des soins courants (les soins lourds continueront d’être pris à 100 % par l’Assurance maladie).


Dans un contexte où le vide juridique qui entoure l’ANI va contribuer à favoriser le « mieux disant » en termes d’assurance santé, les mutuelles et instituts de prévoyance sont condamnés à disparaître ou à se muer en compagnie d’assurances, or logique concurrentielle et assurance-maladie solidaire cohabitent mal dans un même système de santé.


 

Un risque d'augmentation des restes-à-charge pour les ménages


En réalité il semble que le système tel qu’il existe actuellement s’oriente vers un système d’assurances complémentaires qui finissent par se substituer à celui de l’assurance maladie obligatoire. Ces mêmes organismes complémentaires qui, depuis un certain nombre d’années supportent des taxes qui financent l’Assurance maladie obligatoire par la :


- la contribution à la pandémie H1 N1 à hauteur de plus de 200 M€ ;


- le « forfait social » de 2 % puis 4 % sur retraite supplémentaire puis épargne salariale et maintenant 20 %, sauf contributions employeurs destinées au financement des prestations complémentaires de prévoyance (entreprises de 10 salariés et plus) ;


- la taxe pour le fonds de financement de la protection complémentaire de la couverture universelle du risque maladie (dit « Fonds CMU »), (6,27 % du chiffre d'affaires en santé) ;


- la taxe sur les complémentaires santés dite taxe spéciale sur les conventions d’assurance (TSCA) à 7 % pour les contrats dits responsables et à 14 % pour les autres… ;


- l’art 4 de la LFSS 2014 : participation à la prise en charge des modes de rémunération autres que le paiement à l'acte, des activités de soins ainsi que les modes de rémunération des activités non curatives des médecins, et notamment de prévention, d'éducation pour la santé, de formation, d'évaluation, d'études de santé publique (article L. 162-5 du Code de la Sécu).


Ces différentes taxes ont pour effet d’augmenter le prix des assurances complémentaires et les ménages se retrouvent à payer plus chers pour une même couverture de soins. Dans le même temps, la mise en place des contrats collectifs a eu un coût considérable pour la collectivité.


En effet, les complémentaires représentaient selon l’évaluation de la Cour des comptes, 4,3 milliards d’euros de dépenses fiscales et sociales, en faveur pour l’essentiel de contrat collectif. L’ensemble des contribuables subventionnent ainsi une protection maladie qui bénéficie davantage aux salariés des grandes entreprises et à ceux ayant, en moyenne les revenus les plus élevés.


La généralisation de la complémentaire pourrait coûter entre 1,5 et 2 milliards de dépenses fiscales supplémentaires.


 

Les contrats responsables entre complexité et flou sur les objectifs


Lors du vote de la LFSS 2014, les pouvoirs publics ont fait évoluer le contenu des contrats responsables (CSS, art. 871-1) dont le respect devient une exigence de fond pour les contrats collectifs.



Lors de leur instauration lors de la loi du 13 août 2004 relative à l’assurance maladie, l’objectif était de responsabiliser les assurés afin qu’ils s’inscrivent dans le cadre du parcours de soins coordonné. En tenant compte du fait que le reste à charge, après intervention de la sécurité sociale est plus important lorsque le parcours de soins n’est pas respecté, l’exigence de rationalisation des dépenses de santé voulait que les couvertures complémentaires n’assurent pas la prise en charge de la part non remboursée par l’Assurance maladie obligatoire ou tout au moins pas en intégralité.



Les évolutions programmées des contrats responsables, à compter du 1er janvier 2015, laissent entrevoir un changement de logique. Les contrats « frais de santé » seront qualifiés de responsable lorsqu’ils prendront en charge les dépassements tarifaires dans les conditions réglementaires fixées par voie réglementaire. Ces contrats prennent en charge les dépassements tarifaires sur les consultations et les actes de médecins mais également les frais exposés, au-delà des tarifs de responsabilité, pour les soins prothétiques ou d’orthopédie dentofaciale et pour certains dispositifs médicaux à usage individuel admis au remboursement, notamment les dispositifs d’optique médicale.



Les contrats responsables ont donc eu également pour conséquence d’accentuer le processus déjà à l’œuvre de déresponsabilisation de l’Etat en matière de régulation de soins vers les complémentaires. Le gouvernement fait ainsi le choix d’instrumentaliser les contrats responsables en les éloignant de leur finalité initiale pour en faire un outil de régulation publique. Face aux difficultés et aux échecs de « la politique conventionnelle » de l’assurance maladie dans l’encadrement des dépassements d’honoraires, le gouvernement compte sur ces contrats responsables « nouvelle version » pour peser sur les pratiques tarifaires des professionnels de santé.


Le décret d’application sur les contrats responsables fixe, en effet, des plafonds de prise en charge des dépassements d’honoraires en-deçà desquels le contrat demeurera responsable.


Tel qu’ils ont été définis par le décret du 19 novembre 2014, les contrats responsables ne prendront pas en charge :

- la participation forfaitaire ; - la majoration du ticket modérateur en cas de non-respect du parcours de soins ; - l'autorisation de dépassement d’honoraire pratiqué par un médecin consulté hors parcours de soins ; - les franchises médicales.

En revanche, les contrats responsables devront rembourser le ticket modérateur pour : - les consultations du médecin traitant et du médecin correspondant ; - les médicaments remboursés par la sécurité sociale ; - les frais d’analyse prescrits en parcours de soins ; - et prévoir le remboursement de deux actes de prévention.


Pour tenir compte des besoins de santé des assurés sociaux, des plafonds de remboursement différenciés ont été instaurés en optique : - 470 € pour une paire de lunettes à verres simples ; - 750 € pour une paire de lunettes à verres complexes ; - 850 € pour une paire de lunettes à verres “très complexes”.

Afin de garantir que ces prises en charge sont avant tout destinées aux verres, le remboursement des montures est plafonné à 150 €.


Le contrat responsable garantira également deux types de plancher pour le remboursement des frais d’optique :


- Le contrat ne prend en charge que le ticket modérateur pour les particuliers qui ne souhaitent pas de garantie optique.



- Le contrat rembourse au-delà du ticket modérateur et dans ce cas, il doit prévoir un montant minimum de 50 € pour des lunettes à verres simples et de 200 € pour des lunettes à verres complexes.


Le décret crée par ailleurs un observatoire des prix et de la prise en charge qui devra remettre, avant le 30 juin de chaque année à partir de 2016, un rapport sur les pratiques constatées. Sa composition et ses règles de fonctionnement ont vocation à être précisées par arrêté.



En plus d’engendrer une extrême complexification, le texte ne permet pas de tenir le double objectif d’accès à des soins de qualité et de réguler le système de santé. Tel qu’il est conçu le décret entame également la liberté de négociation des partenaires sociaux. Les contrats responsables ont pour effet de produire des normes bureaucratiques qui menacent la liberté de négociation entre les partenaires sociaux notamment au niveau des branches où la spécificité des métiers oblige à redéfinir la pondération du risque couvert (par exemple le cas des risques de carie beaucoup plus élevés dans la profession de la boulangerie artisanale).



 

Un nouveau paysage de la protection sociale aux contours incertains



L'objectif de cette analyse n'est pas de tirer à boulets rouges sur le principe de la généralisation de la complémentaire santé en entreprise. Les acteurs de la réforme, Etat comme partenaires sociaux ont fait preuve d'une certaine forme d'impréparation. Au-delà, du fait que personne ne pouvait s'attendre à ce que le Conseil Constitutionnel prenne une telle décision en matière de décision, la généralisation de la complémentaire santé comportait de nombreux autres angles morts qui n'avaient pas été anticipés.


Alors que notre modèle de protection sociale semblait emprunter depuis un certains nombres d'années, voilà de nouveau qu'on adopte un modèle bismarckien dans le domaine de l'assurance maladie complémentaire. En effet, l'accès à la complémentaire santé est conditionné à un emploi salarié au sein d'une entreprise. Cette situation crée ipso facto une segmentation dans l'accès au soins entre personnes sans emploi et personnes ayant un contrat de travail, entre salariés du privé et du public, entre retraités et actifs.


En outre, telle qu’elle est conçue actuellement, la généralisation conduit à substituer une inégalité entre salariés des « grandes et des petites entreprises » par une autre inégalité entre ceux qui sont « dans » l’activité et dans les entreprises et ceux qui sont durablement ou définitivement « en dehors ».


Par ailleurs, Il apparaît également prioritaire de rationaliser et de rendre plus transparent les circuits financiers existants entre les organismes de « complémentaire frais de santé et l’assurance maladie ». Ceci pourrait éventuellement faire partie des travaux du HCFIP, taxes sur les organismes complémentaires et dépense fiscale à leurs égards dans le même temps ; le système mériterait d’être remis à plat afin d’en améliorer la lisibilité pour contenir le prix de l’assurance complémentaire pour les ménages sans pour autant infléchir le budget de l’Etat et de l’assurance maladie obligatoire.


La mission présidé par Dominique Libault à ce sujet devrait donner les moyens d’existence juridiques à une véritable mutualisation au niveau de la branche afin d’éviter que le taux global de couverture des salariés soit inférieur au taux constaté avant la signature de l’ANI.



Enfin, la rédaction des décrets relatifs au contrat responsable cela pose la question de la liberté des partenaires sociaux à négocier au niveau des branches. On peut estimer qu’il n’est pas opportun de lutter contre les pratiques (dépassement tarifaire, deserts médicaux) des professionnels de santé par l’intermédiaire des « complémentaires santé » ; il existe davantage un risque de créer un troisième étage de couverture des frais de santé pour les personnes qui en ont les moyens.



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