
Le retour du travail indépendant, l’émergence de la pluriactivité et l’importance grandissante des plateformes collaboratives constituent un défi pour notre modèle social calibré sur la prédominance du salariat.
La France a de nombreux atouts pour devenir une nation de premier plan dans l’économie numérique, une flexibilité permise par le statut de l’autoentrepreneur, une autorité de concurrence avertie et une politique volontariste d’ouverture des données.
Les travailleurs de plateforme nourrissent légitiment des inquiétudes dans la mesure où ils modifient la répartition des emplois et mettent fin à une tendance de longue expansion du salariat, posant de nouveaux défis au droit du travail et à la protection sociale. Le développement de type d'activité vient également percuté la sphère du recouvrement social comme fiscal et par conséquent de financement de notre protection sociale. Enfin, les conditions de travail dans lesquels s'exécutent aujourd'hui, le travail via les plateformes posent d'importants défis en matière de couverture, des travailleurs collaboratifs. La protection sociale est un chantier central et prioritaire de la transition numérique de notre économie, pour au moins trois raisons :
elle est le filet de sécurité qui permet d’amortir les effets négatifs de la transition sur les personnes– notamment si elle parvient à mieux couvrir les risques devenus plus critiques avec le développement de l’économie numérique ;
la Sécurité sociale fait partie des institutions qu’il nous faut adapter pour saisir l’opportunité de ce nouveau paradigme. La question de l’alignement des intérêts des acteurs est ici primordiale pour avoir une chance de prendre notre part aux opportunités à venir de l’économie numérique ;
la protection sociale peut faire l’objet elle-même d’une transition numérique, en termes d’e-administration, de guichet unique et de dématérialisation des données et des démarches.
L’importance grandissante du numérique pose la question suivante : faut-il faire preuve de laisser faire ou maintenir le statu quo afin de ne pas brider le secteur prometteur de l’économie collaborative ou au contraire poser d’ores et déjà le cadre strict de ce secteur ?
Activités nombreuses et profils variés
Les plateformes et les activités collaboratives brouillent de nombreuses frontières entre les activités domestiques, les activités amateurs et les activités occasionnelles et professionnelles.
L’affiliation au régime général repose sur l’existence d’un lien de subordination notion qui est unifiée en droit du travail et de la sécurité sociale, sauf exception résiduelles. Il faut également distinguer plusieurs cas de figure au sein de cette économie collaborative qui amènent à des réponses différenciées. Différents cas de figure existent:
Les travailleurs non-salariés (chauffeurs Uber, freelance sur Hopwork) sont affiliés au Régime social des Indépendants (RSI). En revanche, un flou juridictionnel émane des particuliers sans statut et des professionnels sur la question des revenus complémentaires et accessoires.
Dans un objectif de clarification, une première étape consisterait à harmoniser les critères de professionnalité entre les différentes branches du droit (droit du travail, droit de la sécurité sociale, droit commercial et droit fiscal).
La question de la pratique des « faux particuliers » exerçant une activité commerciale en ligne (Lebon coin, Airbnb) a resurgit dans le débat au regard du manque à gagner en termes de recouvrement. L’IGAS milite pour la création d’un statut de micro-entrepreneur collaboratif ultra-simplifié pour des revenus inférieurs à 1500 euros par an. Au-delà, « le particulier devrait auto-liquider un prélèvement libératoire couvrant l’impôt sur le revenu et les cotisations sociales ».
Les députés ont récemment voté dans le cadre du Projet de loi de financement de la sécurité sociale pour 2017 (PLFSS 2017) un dispositif obligeant les particuliers qui louent ou vendent des biens sur les plates-formes collaboratives telles que Airbnb, Zilok (location d’objets entre particulier) ou Drivy (location de voiture) à s’affilier au régime social des indépendants (RSI) et à payer des cotisations sociales.
Le texte prévoit le passage au RSI à partir de 7720 euros de revenus annuels pour la location de biens « meubles » (voitures, tondeuses, poussettes…). Pour les particuliers qui louent leur logement sur Airbnb, le seuil de déclenchement a été fixé à 23 000 euros.
La base légale du partage de frais pour des plateformes comme (blablacar, Vizeat) est aujourd’hui très éparse et surtout de nature sectorielle. La Cour de cassation estime que les sommes versées à un conducteur ou à un cuisinier par les personnes hôtes ou transportées indemnisent les frais réels supportés et qu’en l’absence de bénéfice cela rend les personnes non-imposables. Il n’existe donc pas de base légale fiscale et de sécurité sociale.
L’IGAS souhaite sécuriser les revenus du partage au plan des cotisations en élaborant une doctrine sociale (et fiscale) qui fixe des plafonds d’exonération selon les modes de calculs adaptés à chaque secteur ou activité.
Cependant, cette mesure risquerait de donner un coup d’arrêt aux plateformes de partage alors même qu’il s’agit d’un domaine très dynamique et créateur de lien social pour certaines d'entre elles. Le statut quo, reste à l’heure actuelle, la meilleure des solutions envisageables. En revanche, des conventions pourraient être passées entre l’agence national de recouvrement des cotisations sociales (ACOSS) et les URSSAF sur le principe de procédure de contrôle, de détection des abus, lorsque les sommes versées par les clients dépassent de manière disproportionnées le montant des mutualisations des coûts engagés.
Des risques identifiés de fraude
Trois facteurs font des plateformes collaboratives un secteur d’activités propice à la fraude. D'abord, le volume et la fréquence des transactions que les plateformes collaboratives génèrent augmentent le risque d’évasion ou de fraude. Ensuite, l’anonymat qu'elles permettent pour certaines plateformes renforcent l'opacité des personnes morales ou physiques. Enfin, leur caractère extraterritorial constitue un obstacle à l’application du droit social français. Les travailleurs collaboratifs vendent des prestations et des services à des clients localisés à l’étranger.
Il existe également des risques de fraude dans le domaine des prestations puisque ni la CAF, ni la CNAMTS, ni le RSI, ni Pôle emploi, ni l’UNEDIC n’ont de données sur le cumul-de revenus collaboratifs et les prestations qu’elles versent.
L’obligation de transférer systématiquement les données des revenus aux URSAFF ne constitue pas une solution pertinente dans la mesure où on ne peut pas imposer cette transmission aux entreprises étrangères. Il y a là un risque de pénalisation des jeunes start-up française et de perte de parts de marché face à la concurrence d’autres plateformes localisées à l’étranger.
A l’heure actuelle, la collecte de la taxe par les plateformes collaboratives sur un modèle volontaire et partenarial apparait la meilleure solution. Par exemple Airbnb collecte-lui-même la taxe sur ses utilisateurs prestataires de services et l’a reverse aux collectivités locales concernées comme Paris, Chamonix, Floride, San Francisco.
Les recettes collectées pourraient être affectées au renforcement des effectifs et des moyens de la cellule internet nationale contre le travail illégal à l’URSAFF de Paris. Des solutions partenariales par le biais de conventions signées avec les plateformes pourraient alimenter un fond destiné à des actions de validation des acquis de l'expérience (VAE) et de reconversion professionnelle délivrées par les plateformes.
Des "trous dans la raquette" en matière de protection sociale
Il existe déjà des formes de protection pour les travailleurs collaboratifs. En préambule rappelons que les travailleurs collaboratifs sont couverts de manière satisfaisante pour ce qui est de la couverture sociale de base.
En matière de santé : s’agissant du risque-maladie, la protection universelle maladie (PUMA) a considérablement simplifiée les règles d’affiliation. Le régime compétent pour la prise en charge des frais de santé est désormais le premier régime d’affiliation, sauf si le poly-affilié souhaite exercer son droit d’option de rattachement au régime de son activité principale.
En matière de retraite : la loi du 20 janvier 2014 a prévu un versement unique de la pension retraite à compter du 1er janvier 2017. Néanmoins, on peut craindre également que les nouveaux indépendants sous-épargnent par myopie ou manque d’information sur les niveaux de pension auxquels ils ont droit dans le cadre de leur régime de retraite. Contrairement à des professions traditionnellement exercées par des travailleurs indépendants (commerçants, médecins libéraux, chauffeurs de taxi), les travailleurs indépendants du numérique n’immobilisent pas au long de leur carrière un actif tel qu’un fonds de commerce ou une licence de taxi. Faute de cette modalité d’épargne individuelle, l’arrivée à l’âge de la retraite de cette population pourrait révéler des difficultés économiques inédites.
En matière de famille : la couverture du « risque » est par définition universelle.
En matière d’invalidité et de maternité : les modalités d’indemnisation et les règles sont de plus en plus convergentes avec celles du régime des salaires du régime général. En revanche, il subsiste des problèmes de couverture en cas de perte d'activité.
En matière d’assurance chômage il subsiste des différences notables entre les catégorie de travailleurs en particulier pour les bas revenus sur les conditions d’accès à l’assurance chômage.
Dans le domaine des accidents du travail c'est le néant. La sinistralité en matière d’accidents du travail concerne pour l’instant des secteurs peu ou pas investis par les plateformes collaboratives. C’est cependant le cas pour les plates-formes numériques de livraison de repas à des particuliers comme l’anglaise Deliveroo ou l’allemande Foodora où le statut d’autoentrepreneur ne délivre pas une protection des accidents du travail pour le métier dangereux de livreurs à vélo. Les dommages corporels subis par le particulier sont en principe couverts lorsqu’a été mis en jeu la responsabilité civile du tiers responsable identifié et solvable.
Enfin, l’accès au logement et au marché du crédit est plus difficile pour les travailleurs n’ayant pas un CDI, même lorsque leurs revenus ne sont pas incertains.
"Une protection sociale à construire progressivement pour ne pas annihiler le potentiel de l’économie numérique."
Dans un premier temps, il faut simplement renoncer à faire entrer le numérique dans le carcan trop rigides de l’économie traditionnelle ni chercher à définir un « secteur du numérique ». Des solutions à court-termes, sont à chercher du côté des acteurs par le biais d’une certaine forme de contractualisation entre organismes de Protection sociale, partenaires sociaux et puissance publique en matière de protection sociale.
Dans une logique de sécurisation des parcours et de meilleure prise en compte du travail collaboratif, les micro-entrepreneurs pluriactifs exerçant une activité salariée principale devraient se voir offrir la possibilité de disposer d’une affiliation à un régime unique, pour leur activité principale et leur activité collaborative.
Les revenus d’activité acquis par l’intermédiaire des plateformes ouvriraient alors les droits dans les mêmes conditions que les salariés. Le revenu serait ainsi consolidé à la manière de l’impôt sur le revenu : il en résulterait une augmentation des droits à prestations du travailleur collaboratif dans son régime historique qui trouverait sa pleine effectivité dans le cadre du Compte personnel d’activité (CPA).
Afin de garantir une certaine souplesse, ce droit de rattachement au régime général serait optionnel, sous la forme d’un précompte pour tiers mis en œuvre par les plateformes collaboratives de manière facultative. Seuls les travailleurs collaboratifs qui le souhaitent seraient ainsi concernés.
Dans un premier temps, il faudrait autoriser les plateformes à contribuer sur une base volontaire à la protection sociale de base AT/MP, complémentaire des travailleurs collaboratifs indépendants qui exercent une activité par leur intermédiaire.
Sur ce modèle, les plateformes pourraient être encouragées par le biais d’incitations à contribuer à un fonds destiné à financer les nouveaux risques attachées à ces formes d’emplois comme le logement, en particulier, dont l’accès est encore trop conditionné par le Contrat à durée déterminée (CDI).
La nouvelle économie et les plateformes collaboratives génèrent aussi leurs propres réponses aux besoins de couverture sociale. A court termes, les start-up peuvent donner au travailleur indépendant des moyens pour retrouver certaines protections sociales du salariat et ce sans qu'une réforme étatique ne soit nécessaire
Open Work est une société de portage salarial, soit un dispositif qui offre de transformer une facture de consultants en bulletin de paie. Autrement dit, elle permet d'avoir un contrat d'indépendant et le statut de salarié.
Wemind propose aux indépendants un package avec une assurance complémentaire frais de santé, une mutuelle de qualité mais aussi les avantages d'un comité d'entreprise. Moyennant paiement d'une cotisation, elle propose donc au travailleur indépendant des garanties proches du salariat.
Side s'est intéressé aux étudiants. Après avoir qualifié leurs aptitudes, elle leur propose des travaux d'une durée plus ou moins longue, plus ou moins qualifiés pour gagner un revenu de complément. Très flexible, elle permet de trouver quelques heures de travail pour un étudiant qui voudrait travailler par exemple le dimanche après-midi ou à un autre moment de la semaine.
Les organisations syndicales ont tout intérêt à travailler plus étroitement avec ces entreprises en tenant des assises de la Protection Sociale du travail collaboratif et en y associant partenaires sociaux, membre de l’Observatoire de l’Uberisation, plateformes collaboratives et start-up spécialisées dans la protection sociale.
Demain, la Sécurité sociale 3.0
La transformation de l'économie mondiale est inévitable, mais la façon dont nous organisons notre société dépendra en grande partie de nos choix collectifs. Nous devrons exploiter le potentiel de l'économie numérique pour notre croissance et notre bien-être, y compris en matière de modernisation de la sécurité sociale.
La prévention des risques au travail devra être repensée au-delà du lien traditionnel de subordination. La sécurité sociale de demain devra assurer une meilleure transférabilité des droits et inventer de nouvelles formes de recouvrement des revenus du travail. De nombreuses réformes comme le Compte personnel d’activité (CPA), la réforme des minimas sociaux et le revenu universel de base doivent être l’occasion de construire une Sécurité sociale rénovée
La Sécurité sociale doit être plus efficacement aligné sur les mesures qui soutiennent la santé, l'employabilité et l'autonomisation des individus, afin de faciliter la participation économique de tous et de nouveaux types d'activités.
Comme toute grande organisation, la Sécu doit désormais relever le défi de la personnalisation à grande échelle. Elle doit utiliser le levier des technologies numériques pour mieux fonctionner et concilier les impératifs d'universalité, d'égalité de traitement et de personnalisation.
La première étape vers ce changement passe par la construction d'une Sécurité sociale 3.0. La création d’une caisse de Sécurité sociale digitale pour les nouveaux travailleurs collaboratifs permettrait d'expérimenter un système de guichet électronique unique (système aujourd'hui, absent au sein du Régime général des salariés du privé). Cette caisse permettrait de gérer entièrement en ligne via des applications mobiles spécifiques l’ensemble des procédures d’affiliation, d’immatriculation, de gestion des prestations et de recouvrement des cotisations.
Cette caisse digitale pourrait développer un programme de partenariat avec les principales plateformes opérant en France afin déployer un programme d'échanges de données permettant un précompte de cotisation.
Cette caisse jouerait le rôle de « poisson pilote » pour expérimenter des nouveaux services de simplifications généralisable à tous les assurés. Elle y associerait les startups françaises de paiement en ligne, les plateformes de développeurs de logiciels et jouerait le rôle d’expert pour les autres régimes de sécurité sociale.