La France à fait le choix d’une organisation très spécifique dans laquelle la même dépense de soins à vocation à être couverte pour partie par l’assurance sociale et, pour une autre partie, par une assurance complémentaire (dont le secteur obéit à des régulations spécifiques). Notre système comporte donc deux étages. Le premier, c’est l’Assurance-maladie, la « Sécu », qui couvre aujourd’hui environ 77 % des dépenses de soins. Elle prend en charge à 100 %, dans la limite des tarifs de la Sécurité sociale, les affections de longue durée (ALD), une grande partie des soins hospitaliers et certaines catégories de malades (accidents du travail…). Elle couvre beaucoup moins les dépenses de médecine de ville (hors ALD), où le taux de remboursement est inférieur 50 %. le deuxième étage de la couverture de soins est assuré par les complémentaires qui finance environ 14% des dépenses de soins des français. Quels sont les conséquences de ce double étage dans la couverture de soins?
Quels chiffres aujourd’hui ?
Les dépenses couvertes par la sécurité sociale s’établissent à 76% et celles prises en charge par les complémentaires « Santé » à 13,5%. Le reste du financement est assuré par les ménages. Le taux moyen de paiement direct par les ménages est un des plus bas d’Europe environ 8%.
Ces données générales masquent toutefois d’énormes disparités entre d’une part, les différents segments d’assurés et d’autre part, les soins concernés. La part de la dépense couverte par l’assurance maladie obligatoire (AMO) représente 92% de la dépense hospitalière contre 63,7% de la dépense de soins de ville.
On peut donc le souligner que ce deuxième niveau de mutualisation complémentaire, qui se rajoute à un socle de protection obligatoire déjà élevé (78 % de la dépense totale), permet d’alléger la part des dépenses directes des ménages aux dépenses de soins et biens médicaux. Rappelons le, les paiements directs sont et demeure le mécanisme le moins redistributif et le plus inégalitaire de financement des dépenses.
Un reste à charge issu de l’architecture particulière de notre système de santé
Que peut-on dire de ce système à double étage en termes de reste à charge ? Si la part des dépenses de santé supportée par les ménages est faible grâce à l’intervention de l’assurance complémentaire cela ne nous empêche pas de nous interroger sur les voies d’améliorations possibles.
Premièrement, cette construction spécifique pose des questions de responsabilité. Elle dispense l’assurance publique de jouer son rôle de socle de protection. L’existence d’un deuxième niveau de mutualisation exonère le système public des efforts qu’il devrait faire pour assurer une protection de base, et génère un cercle vicieux : dans la mesure où l’assurance privée vient compléter le financement public, y compris sur des prestations essentielles, elle est considérée de plus en plus comme une condition nécessaire de l’accès aux soins, presque à l’égal de l’assurance obligatoire.
Deuxièmement, l’intrication des responsabilités financières reste problématique pour la visibilité des remboursements du patient. Aujourd’hui, on constate que, pour une fraction des patients, des restes-à-charge après intervention assurance-maladie obligatoire qui sont intolérablement élevé. Cette situation est d’autant plus inacceptable que ceux sont pour des soins hospitaliers.
Pour la moitié des patients hospitalisés à l’hôpital public en 2010, l’assurance obligatoire laissait à charge moins de 40 euros, mais, pour un sur dix, il s’agissait de plus de 1 900 euros, et pour un sur cent, de plus de 3 500 euros, en tickets modérateurs et forfaits journaliers.
Nous sommes le seul pays à avoir des restes-à-charge de ce niveau, non plafonnés. Si ce n’est pas considéré comme un problème, c’est que, pour une écrasante majorité des cas, ce n’est pas le patient qui doit régler, puisque ces restes-à-charge sont couverts par tous les contrats d’assurance complémentaire.
Pour autant, le modèle actuel n’est pas cohérent du point de vue du socle solidaire qui devrait être assuré par notre système de protection sociale.
C’est dans ce contexte que s’est inscrite l’idée de faciliter l’accès aux complémentaires « santé » par l’augmentation des plafonds de ressources donnant accès à la CMU-C et à l’ACS et par la généralisation des « contrats de groupe ». La loi du 14 juin 2013 relative à la sécurisation pour l’emploi prévoit, à l’article 1, la généralisation de la couverture complémentaire santé collective et obligatoire.
Le système n’est pas parfait, aujourd’hui les différents acteurs en sont conscients. Il existe un risque de dégradation de la situation des affiliés qui resteront dans le champ des contrats individuels (personnes âgées, chômeurs...), avec un renchérissement de leurs contrats.
Quels solutions?
L’économiste Pierre-Yves Geoffard souhaite introduire davantage de régulation et de mutualisation dans le domaine de l’assurance complémentaire afin de couvrir l'ensemble de la population.
Son idée : mettre en place une tarification uniforme, indépendante du sexe, de l’âge, et évidemment de l’état de santé. Cette régulation tarifaire serait mise en œuvre grâce à un mécanisme de compensation des risques.
Le modèle qui pourrait être retenu est celui des subventions croisées entre assureurs : celui qui couvre une population plus jeune ou en meilleure santé que la moyenne doit « subventionner » celui qui assure une population au risque plus élevé.
Un tel mécanisme réduirait les incitations de chaque assureur à chercher à sélectionner les risques en attirant les clients les plus jeunes, et en dissuadant les assurés plus âgés.
Cette solution permettrait de conserver l’architecture à double étage de notre couverture santé tout en évitant les risques d’antisélection. Les exemples étrangers nous ont montré que de de manière générale, toute organisation concurrentielle du risque santé doit être accompagnée de régulations adéquates pour être compatible avec les exigences de solidarité et d’équité.