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Comment les autres pays se sont attaqués aux "déserts médicaux"?




La référence récurrente aux déserts médicaux dans le débat public traduit les préoccupations des français quant à l’accessibilité géographique aux soins de médecins. La faible densité médicale des médecins généralistes et la progression des déserts médicaux mettent notre système de santé sous tension. Des tentatives de réponses ont été apportées en essayant de promouvoir l’exercice coordonné et la couverture de la population par les Communautés Professionnelles Territoriales de Santé (CPTS). Cependant, ces mesures, pour certaines très récentes, sont d’une ampleur insuffisante pour que leur effet de transformation se fasse sentir à l’échelle du système.

L’idée que nous n’aurons plus aussi facilement accès aux soins qu’avant est en train de s’installer dans la population française. Ce sentiment rejoint la réalité quand dans certains territoires l’on assiste à un véritable effondrement de l’offre des soins.

C’est pourquoi il est intéressant de se demander si les déserts médicaux sont une spécificité française. La réponse est évidement non ! La situation de la France n’est pas unique. La répartition géographique des médecins est inégale dans de nombreux pays, à des degrés divers.

La répartition égale des médecins sur tout le territoire et l’accès aux soins de proximité est une problématique partagée par de nombreux pays. Des solutions ont été mises en place pour améliorer la répartition géographique des médecins. Le rapport de la DREES[1] intitulé « remédier aux pénuries de médecins dans certaines zones géographiques »[2] dresse les leçons de l’expérience internationale sur le sujet des déserts médicaux.

Avant de s’intéresser aux mesures qui pourraient être mise en place. Il est utile de comprendre les facteurs influençant les choix d’installation particulièrement dans un pays comme la France où la liberté d'installation fait partie des principes fondamentaux de l'exercice de la médecine.

Il ressort de cette enquête que les facteurs personnels d’attachement au territoire et à la famille constituent des éléments importants dans le choix du lieu où s’installent les professionnels de santé. L’origine rurale du médecin est d’ailleurs un facteur crucial de l’installation en zone rurale. La qualité et le cadre de vie offerts sur un territoire sont également déterminants. Il existe aussi d’autres facteurs liés aux conditions d’exercice, à la présence d’autres professionnels sur le territoire et à la charge de travail qui sont particulièrement déterminants pour les jeunes générations.

De récentes études ont également montré que le niveau de revenu est un aspect qui importe. Mais d’autres aspects non pécuniaires de l’exercice professionnel revêtent une valeur encore plus importante aux yeux des praticiens.

Par conséquent, si l'on veut influer sur le choix des praticiens par le biais d’incitations financières, il faudrait des augmentations de revenu extrêmement élevées afin de compenser des conditions d’exercice considérées comme désavantageuses.

Comprendre les motivations des médecins pour s’installer dans un environnement ou un autre permet d’imaginer des leviers pour influer sur l’implantation des médecins dans les « déserts médicaux ». L'évaluation des politiques menées par des pays pour une meilleure répartition de médecins sur le territoire permet de mesurer l’efficacité des dispositifs mis en œuvre.

Agir sur la formation initiale des médecins

La formation initiale joue un rôle déterminant même si les effets escomptés prennent plusieurs années. Tout d’abord, l’augmentation du nombre de médecins formés joue un rôle important. La France se distingue à cet égard des autres pays car elle a utilisé le "numerus clausus" (le nombre d’étudiants autorisés à poursuivre des études de médecine] comme un outil de régulation de la dépense de santé. Depuis, on desserre l’étau, on a atteint 7 000 à 8 000 jeunes formés dans les années 2010. Aujourd’hui, le nombre maximal des étudiants autorisés à poursuivre leurs études en médecine en deuxième ou troisième année à la rentrée universitaire 2020–2021 a été fixé à 9.361.

Desserrer ou supprimer le numerus clausus permet d'accroître la quantité de médecins sans garantie d’une meilleure répartition.

Ensuite, les mesures concernant la diversification des profils constituent un puissant levier d’installation des médecins en zone rural. Toutes les études montrent que les étudiants en médecine (2ème année) issue de la ruralité ont diminué alors que la part des CSP+ a augmenté. C’est un problème pour l’organisation des soins de proximité. Il faut donc veiller à diversifier les origines sociales des étudiants en médecine.

Les Universités de médecine ont une responsabilité sociale en recrutant et en formant des médecins pour répondre aux besoins de santé des territoires. La suppression de l’accès par le concours pourrait permettre de diversifier les profils étudiants.

En outre, les Universités peuvent aussi mettre en place des cursus spécifiques, en déplaçant une partie de la formation clinique en hôpital universitaire vers des hôpitaux de proximité et des centres ruraux.

Ces politiques mériteraient d’être appliquées en France dans la mesure où actuellement on sélectionne dans les universités de médecine des étudiants issus des CSP+ au mode de vie souvent « urbain » qui une fois sortie sont enclins à rechercher le même mode de vie au moment de l’installation. Le Japon a par exemple créé un soutien financier aux étudiants avec un engagement de service de 9 ans après la fin des études sur des postes fléchés. Il faut travailler sur cette sélection des universités de médecine même si les effets de long-terme sont en inadéquation avec les besoins actuels. La question de la durée des études de médecine, de douze années en moyenne, posent également question. Ne faudrait-il pas mieux améliorer la formation continue et diminuer la formation initiale pour rendre plus accessible les études de médecine à des étudiants issus de milieu défavorisés?

Instaurer des incitations financières

Les incitations financières sont souvent de deux types. Elles peuvent prendre la forme d’un soutien financier aux étudiants en contrepartie d’engagement. Si ce type de mesures produit des effets immédiats, elles tendent à perdre de leur efficacité à long-terme car on enregistre un turn-over important. En effet, sans mesures complémentaires liées aux conditions d’exercice pour améliorer le maintien dans la durée, les jeunes médecins quittent les lieux où ils ont commencé à exercer.

Le deuxième type d’incitations financières concerne les aides pour les médecins en exercice. C’est un des leviers les plus utilisés, souvent le premier mis en place. Les modalités de ces aides sont diverses. Elles peuvent prendre la forme de majorations de revenus ou de garanties de revenu, mais encore de primes d’installation ainsi que de prise en charge des frais de déménagement.

Ces mesures ont néanmoins un faible impact. La désertification médicale de certains territoires s’explique avant tout par les conditions de vie globales et l’absence de services disponibles. Faire venir les professionnels de santé dans les territoires les moins attractifs ne dépend pas seulement des seules incitations financières mais de l’aménagement du territoire.

Réguler l’installation par la contrainte

Les mesures visant à contraindre l’installation des médecins sont en général de deux types. Les premières reposent sur une obligation de service pendant une durée déterminée. L’obligation temporaire d’exercice en zone sous-médicalisée pour certaines catégories de médecins a été mise en œuvre en Australie et au Canada. C’est une solution de court-terme qui peut produire des effets néfastes à long-terme. Les médecins qui servent dans les territoires « non attractifs » le font souvent de manière contrainte et ils ne restent pas au-delà de leur période d’engagement.

D’autre pays ont opté pour une régulation globale en encadrant la liberté de choix du lieu d’exercice. En Norvège, les possibilités d’installation des médecins libéraux sont restreintes par la nécessité de passer contrat, soit avec la municipalité, soit avec la région. En Allemagne, l’installation des médecins spécialistes est contrainte par un ratio qui mesure la surdensité médicale. Cette mesure visait à équilibrer la démographie médicale entre l’est et l’ouest au moment de la réunification.

Enfin, au Québec, il existe des plans régionaux d’effectifs médicaux (PREM). Si l’installation se fait sans accord, la rémunération est amputée de 30%. Chaque médecin désireux de changer de région doit obtenir un avis de conformité ne pouvant être délivré que si la cible du PREM n’était pas atteinte. La contrainte est allégée ou supprimée pour les médecins qui ont exercé pendant un certain nombre d’années dans une région éloignée. Il semble que le Québec ait réussit à résoudre ses difficultés de pénurie médicale et de déserts médicaux grâce à ces mesures.

Soutenir les médecins
Les aides financières ne constituent pas le seul appui dont peuvent bénéficier les médecins pours d’s’installer ans des zones peu attractives. Des solutions opérationnelles peuvent être mises en œuvre, territoire par territoire, pour faciliter l’exercice des médecins en matière de conciliation des temps de vie ou d’appui administratif. Ces mesures peuvent comprendre des mesures d’organisation et de financement de remplacements pour permettre aux praticiens de s’absenter. Les collectivités locales peuvent aussi participer à la mise à disposition des locaux pour permettre un exercice ponctuel dans leur territoire. Enfin, ces mesures peuvent prendre la forme d’aménagements des conditions de travail pour les médecins seniors, par exemple avec une réduction ou une suppression des gardes et astreintes


Quelles perspectives pour le cas de la France?

Les solutions les plus efficaces sont en général celles qui prennent le plus de temps. Il faut avoir une vision globale car certaines mesures de court-terme peuvent avoir des effets indésirables à long-terme. On parle beaucoup des zones rurales mais on trouve des déserts médicaux dans des zones urbaines défavorisées en France. Il faut également être conscient qu’il n’existe pas de recette miracle. La France fait des choses notamment en matière d’exercice coordonnée, d’incitations financières mais aussi de formation. En revanche, en termes de régulation, on a mis en place peu de choses. La France pourrait mieux faire en matière de formation mais aussi dans le domaine des mesures de soutien.

Enfin dans le cas français, il faut bien distinguer la question des inégalités de répartition de celles liées aux pénuries localisées. Nous n’avons pas de région comme le la Laponie, ni le grand nord au Québec. Il faut avoir conscience que le rééquilibrage entre grandes zones ne suffira pas, nous devons avoir des politiques proactives spécifiques à une échelle territoriale très fine comme la commune.

[1] DREES : La Direction de la recherche, des études, de l’évaluation et des statistiques (Drees) est une direction de l’administration centrale des ministères sanitaires et sociaux [2] Dominique Polton, Hélène Chaput, Mickaël Portela (DREES)En collaboration avec Quentin Laffeter et Christelle Millien (décembre 2021)
 

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