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Comment évaluer l'efficacité économique de la prévention?




Dans un monde où la santé est de plus en plus souvent perçue comme un coût, la question de la prévention est plus que jamais d’actualité. Des récents travaux sur la rentabilité économique de la prévention mettent en lumière les enjeux autour de cette question, qui vont bien au-delà du simple slogan “Mieux vaut prévenir que guérir”. Les données probantes augmentent en France qui confirment bien que la prévention est un investissement nécessaire pour améliorer l’efficience des politiques de santé. Inversement, la question du retour sur investissement devient un enjeu important pour les acteurs d’où l’importance de l’évaluation. Mais comment évaluer son efficacité et justifier les dépenses liées aux programmes de prévention ?


Un investissement rentable à long terme

L’Organisation Mondiale de la Santé (OMS) souligne que la prévention, tout au long de la vie, est l’une des stratégies les plus efficaces pour améliorer la santé publique tout en stimulant le développement économique. Moins de maladies signifie non seulement une meilleure qualité de vie pour les personnes, mais aussi une baisse des dépenses de soins de santé et plus largement de protection sociale (chômage, handicap). Les actions de prévention ont donc un impact potentiellement très vaste qui peut aller jusqu’à l’amélioration de la productivité au travail.


Malgré les avantages évidents, la prévention est souvent perçue comme coûteuse, surtout quand les bénéfices ne se manifestent qu’à long terme. La prévention n’est pas rentable politiquement d’un point de vue « court-termiste » puisque les effets de la prévention sont décalés dans le temps.


La prévention illustre à merveille notre préférence pour l’immédiateté car une dépense ou un gain dans 20 ans n’ont pas la même valeur que dans 1 an.  Pourtant, cette perception doit être nuancée : de nombreuses actions de prévention sont finalement peu coûteuses et offrent des retours sur investissement considérables, notamment celles qui s’attaquent à des problèmes telles que le tabagisme, la consommation d’alcool ou encore les accidents de la route.


L’évaluation économique de la prévention : un défi complexe

L’évaluation de la prévention n’est pas simple car elle pose des questions méthodologiques complexes liées à son caractère multiforme. En effet, il existe plusieurs types de prévention : primaire, secondaire et tertiaire, chacune visant des objectifs différents. Par exemple, la prévention primaire concerne les mesures visant à empêcher l’apparition de maladies (comme la vaccination ou la lutte contre le tabagisme). Ensuite, les actions de prévention secondaires s'adressent à des personnes non malades mais qui présentent des facteurs de risques, ceux sont par exemple les dépistages. Enfin, la prévention tertiaire s’intéresse aux soins apportés aux personnes déjà malades pour éviter l’aggravation de leur état. C’est par exemple le cas des séances de sport ou d’activités physiques adaptés qui sont prescrites aux patients atteints de pathologies chroniques cardiaques et respiratoires pour éviter le risque de rechute ou d’aggravation. Avec ce dernier exemple, on comprend bien que la frontière entre la prévention tertiaire et le curatif est de ce point de vue difficile à fixer.

 

Il convient également de distinguer la prévention individuelle comme la vaccination ou le dépistage ciblé et la prévention collective, visant à protéger, à promouvoir la santé de tous sur un territoire comme par exemple, la lutte anti-tabac au niveau national ou des actions territorialisées contre les perturbateurs endocriniens. C’est pourquoi, il vaut mieux analyser les interventions préventives en fonction de leur cible et de leur objet.


Une fois effectué ce travail préalable de définition, la question de l’évaluation médico-économique de la prévention reste entière. Le choix de la méthodologie de l’évaluation des couts/bénéfices pose des questions la fois techniques, éthiques et politiques.


Prenons par exemple, l’indicateur QALY (Quality-Adjusted Life Year) couramment utilisé dans l’évaluation de l’efficience des actions de prévention ou des traitements médicaux. Il combine à la fois la durée de vie et la qualité de vie en un seul paramètre, permettant ainsi de quantifier les bénéfices d’une intervention en termes de “vies vécues en bonne santé”. Le concept repose sur l’idée que, selon l’état de santé d’un individu, chaque année vécue peut être ajustée en fonction de la qualité de vie perçue pendant cette année.


Ce calcul repose sur deux éléments :


1. La durée de vie : le nombre d’années supplémentaires qu’un individu pourrait vivre grâce à une intervention (soin ou prévention).

2. La qualité de vie : une échelle de qualité de vie allant de 0 (morte) à 1 (en parfaite santé). Par exemple, si une personne vit une année avec une qualité de vie réduite à 0,5 (par exemple à cause d’une maladie invalidante), cette année compterait pour 0,5 QALY.

L’indicateur QALY est une approche puissante car elle permet d’intégrer à la fois la durée de vie (combien de temps on vit) et la qualité de vie (dans quel état on vit). L’un des principaux avantages de l’utilisation des QALYs dans l’évaluation des politiques de santé est la comparabilité : des traitements pour différentes maladies ou des actions de prévention peuvent être évalués avec un même critère, ce qui simplifie le processus de décision.


L’approche QALY peut amener à mettre un prix à la vie humaine (en termes de QALYs), ce qui soulève des questions éthiques profondes. En France, il n’existe pas de seuil précis pour déterminer si une action de prévention est “efficiente”, contrairement à des pays comme le Royaume-Uni, qui retiennent un seuil de 30 000-50 000 £ par QALY. Cette vision utilitariste peut poser des problèmes de discrimination car certaines personnes, par exemple comme les personnes âgées ou les personnes handicapées pourraient être considérée comme moins “rentable” en termes de QALYs, et donc moins prioritaire en matière de financement.


L’évaluation de la prévention ne se limite pas à l’économie

Au demeurant, l’aspect économique n’est pas le seul facteur de décision pour engager un programme de prévention. Entrent aussi en jeu la faisabilité, l’acceptabilité sociale, l’équité. Ce dernier aspect est d’autant plus important que les messages de prévention n’atteignent pas toujours les populations les plus vulnérables. Parfois, ces populations n’ont pas accès à l’information, ou d’autres priorités, comme la gestion des besoins immédiats, passent avant la prévention. Certaines actions de prévention creusent alors les inégalités de santé.


Ainsi, l’efficience d’une action de prévention dépend de plusieurs facteurs. Tout d’abord, elle doit cibler les bonnes populations. Par exemple des préconisations comme arrêter de fumer pendant la grossesse ou faire des tests de dépistage du cancer à des personnes à risque élevé peuvent avoir un impact important. En revanche, des actions générales et non ciblées, comme un dépistage systématique du cancer de la prostate, peuvent se révéler peu efficaces et coûteuses.


Ensuite, la fréquence des actions a un rôle clé. Des dépistages réguliers ou un suivi médical intensif peuvent être plus efficaces, mais aussi plus chers. Il faut donc bien évaluer l’équilibre entre coût et bénéfice à long terme.


Enfin, une grande partie des actions de prévention les plus efficaces se trouve en dehors du système de soins, comme les politiques publiques concernant l’alimentation ou l’environnement avec notamment la qualité de l’air. Par exemple, la réduction du sel dans les aliments transformés ou la taxation des boissons sucrées sont des mesures qui ont un coût net très faible tout en réduisant les risques de maladies cardiovasculaires.


Des actions de prévention efficaces en dehors du système de soins

Les actions de prévention ne se limitent donc plus au système de soins. « Compte tenu du caractère multidimensionnel de la santé, la prévention n’est plus conduite de manière isolée par rapport aux autres secteurs de l’action publique »[1]. Depuis quelques années on assiste à l’émergence d’une logique multisectorielle avec de nouveaux acteurs dans le domaine de l’éducation, du logement, de l’emploi, du transport. Cette approche multisectorielle se matérialise par de nouvelles manières de faire de la prévention. Dans leurs déploiements, ces actions de prévention s’appuient sur les acteurs de proximité au sein des lieux de vie comme l’école, le monde du travail ou les quartiers. Ce partage des responsabilités au-delà du champs sanitaire classique permettent d’atteindre les plus vulnérables et de diffuser une culture de la promotion de la santé dans le champ social.


D’autres approches de prévention multisectorielles, moins ciblées et plus holistiques ont également une efficacité importante. C’est le cas des politiques de neutralité carbone qui permettent de faire de la prévention tout en améliorant rapidement l’état de santé de la population. On parle alors de co-bénéfices. Ce concept décrit l'impact favorable pour la santé humaine de mesures visant à réduire les dégradations environnementales, ou à l'inverse, de préservation de l'environnement en lien avec des mesures de promotion de la santé. Les travaux de l’Ecole Normale Supérieure a ainsi réussi à modéliser l’effet de l’augmentation de la marche et du vélo sur la population française. Les travaux combinent ce changement de mode de vie avec le risque de mortalité et les résultats sont positifs. D’autres modèles combinent des scénarios de changements d’alimentation en terme d’année de vie gagnée. Ainsi, le nombre de décès évités pourrait se chiffrer à 100 000 avec une alimentation plus végétalisée et moins carnée.


Mieux évaluer et mieux prendre en compte les approches multisectorielles

Toutes ses approches, nous rappelle la nécessité de développer la recherche sur l’évaluation des politiques de prévention en France. La France n’évalue pas suffisamment les politiques intersectorielles. On remarque également qu’il n’existe pas de méthode centralisée d’évaluation de la prévention. Pourtant, nous avons vu que les actions de prévention bien calibrées peuvent être plus efficaces et rentables que certains traitements curatifs tout en permettant de baisser les dépenses de santé à moyen-long termes. Mais cela nécessite une évaluation constante de leur efficacité et de leur coût. La prévention ne concerne donc pas uniquement le système de soins, mais aussi des actions plus larges, comme les politiques sociales et environnementales. Il est essentiel que les actions de prévention soient basées sur des évaluations scientifiques rigoureuses ex-ante mais aussi ex-post. Dans un contexte de raréfaction des ressources disponibles pour le système de santé, Il est impératif que les évaluations soient au cœur des politiques publiques et que les administrations se donnent les moyens de les prendre en compte :  en améliorant ce qu’il est possible d’améliorer et en abandonnant les stratégies inefficaces,


[1] Rapport charges et Produits de l’assurance maladie pour 2022

 

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